La Diagonale des fous inside

FullSizeRenderPasser sous l’arche d’arrivée, claquer quelques bises et… rien ! Comme si les heures, ou plutôt les jours d’avant, n’avaient pas existé. Comme si les douleurs avaient (un instant) disparu. Comme si les émotions n’osaient ressortir. Ou quand le soulagement d’en avoir fini, ce qui s’apparente à un rêve pour beaucoup, laisse finalement un grand vide. Quelques heures plus tôt, j’avais envie de chialer. Pas là.

Bizarre, non ? Oui, et pourtant, c’est bien ce qui m’est arrivé le 24 octobre dernier, sur la piste cendrée du stade de la Redoute, à Saint-Denis (Réunion). Il est alors 23h02. Et c’est fini. Mes potes, Guillaume et Mickaël, qui ont pris le départ avec moi tout là-bas, du côté de Saint-Pierre, s’enlacent. Et c’est vraiment fini. Nos amis, nos familles, qui nous ont soutenus 49 heures durant, sortent quelques verres en plastique. Et une bouteille de champagne (bon, autant l’avouer, c’est notre petite tradition !). Nous sommes désormais assis sur un terrain humide, bercés par une douce euphorie et quelque peu surpris par ces SMS qui n’ont de cesse de nous parvenir. Oui, c’est fini.

Cet épilogue, je l’avais imaginé ainsi. Trois ans après ma première expérience sur cette fameuse Diagonale des fous. Une aventure déjà réussie, car achevée en 62 heures et une grosse poignée de minutes, mais totalement différente.

– « Ah oui ? Et pourquoi ? »

Qui dit « découverte », dit « crainte(s) », dit « prudence », dit « lutte infernale contre les barrières horaires ». Voilà un résumé succinct de ma course en 2012, de notre course – Guillaume m’accompagnait déjà -, rythmée par une météo « dégueulasse » (oups, j’ai ripé !).

A la pluie et au vent, on y a encore eu droit dans l’aire de départ. Tout un symbole. Le Grand Raid de la Réunion n’est pas une course comme les autres, il se plaît à jouer avec nos émotions. Des émotions décuplées sur les coups de 22 heures, une fois lancés sur ce boulevard noir de monde. A gauche, à droite. Sur trois ou quatre rangées. Voire plus parfois. A dresser les poils. Vraiment. Oppressant ? Un peu, oui. Si bien que le silence des champs de cannes, en direction de Piton-Sec (km 34,8), est arrivé un point nommé…

Mon face à face avec l’effort pouvait débuter. Celui avec la douleur n’allait pas tarder. A dire vrai, je m’y attendais. Ma tendinite au tenseur du fascia lata du genou droit, apparue fin août, n’allait pas disparaître comme ça. D’un claquement de doigts. Malgré le port d’un strap… et d’une genouillère. Mon kiné m’avait prévenu : « Si tu fais déjà dix heures sans souffrir, ce sera top ! » Au bout de cinq, premières grimaces. En silence, les grimaces, hein ! Je me suis promis de ne pas me plaindre. « On ne t’a pas forcé à prendre le départ, alors tais-toi ! », me suis-je dit. Une philosophie mise à mal dans la descente vers Mare-à-Boue (km 50,2), quelques minutes après cette ascension magique du Piton-Textor (km 40). Sur ce long chemin asphalté, j’ai un temps songé à tout arrêter. A 110 bornes du but, alors que le Coteau Kerveguen, le Taïbit ou encore le Maïdo se profilaient à l’horizon. Dur, dur.

Insurmontable ? Non. Ma chance ? Ne pas souffrir une fois que les sentiers s’élèvent et, surtout, ne pas être seul. Oh, attention, 49 heures durant, ni débat politique, ni grandes joutes verbales ! Mais la présence d’amis rassure, tempère les émotions malsaines, parfois agace. Mais, pendant ce temps-là, on ne pense plus à la douleur… Ainsi, dans la cuvette de Cilaos (km 66,2), il n’était plus question de dire stop. Le cirque de Mafate était là. A deux pas.

Notre ambition, alors ? Atteindre Marla avant la tombée de la nuit. Mission accomplie. C’était avant que nos paupières ne deviennent plus lourdes… Courir de nuit, après 24 heures d’efforts, est toujours une épreuve. Nos seuls repères visuels ? Ces torches au loin qui, finalement, polluent notre perception de l’espace. Les micro-siestes de quinze minutes, réalisées à Ilet-à-Bourse (km 95,2), Grand-Place (km 98,6) et Roche-Plate (km 106), deviennent alors vitales. A vous miner le moral.

Ce moral, je l’ai retrouvé au lever du jour à la découverte de ce panaroma extraordinaire tout en haut du Maïdo (km 112). En face : Mafate, aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Tout à gauche : la Possession et les eaux de l’Océan Indien. Enfin ! Le plus dur était fait et le moment idéal pour faire peau neuve. Changement de chaussures – histoire de soulager ce fichu genou -, de short et de maillot. Bref, paré pour la dernière ligne droite ! Une fois sorti de Mafate, nul ne pense à « bâcher ». On ne s’est pas tapé tout ce chemin pour rien !

Avancer, coûte que coûte, et s’hydrater au mieux afin de lutter contre la chaleur sont alors nos deux seuls objectifs. Si les hallucinations de la nuit d’avant ont disparu – ou quand les pierres se transforment en vaches ! -, la lassitude physique (et mentale) est belle et bien là. Pour autant, Saint-Denis se rapproche, tout autant que ce t-shirt de finisher, barré d’un « J’ai survécu » symbolique. Antoine Guillon, le lauréat de cette édition 2015, est à la sieste ou, qui sait, sirote peut-être une Dodo bien fraîche les pieds dans le lagon, tandis que l’on se bat encore sur les pavés griffés du terrible Chemin des Anglais (km 144). On en parle, on en rigole même. Et alors ? Oui, et alors ? C’est l’esprit même du trail. Lutter avec ses armes et aller au bout de soi-meme, sans porter attention au classement, anecdotique la plupart du temps. Ne vous y méprenez pas : on a tous notre petite fierté. La perspective de passer sous la barre des 50 heures nous a toujours animés. « 48 heures, ce serait classe », me suis-je même dit au fond de moi. Las, nous n’avions pas prévu cette fine pluie, qui a fait de l’ultime montée, mais surtout de cette folle descente vers Saint-Denis, une patinoire. Les lumières du stade était là. Tout au bout. Et la boue, omniprésente, semblait nous en éloigner. Tout un symbole, là encore. La délivrance se mérite. Le grand vide qui s’en suit aussi.

0 thoughts on “La Diagonale des fous inside

Répondre à H & F Léger Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial